L’Eglise a-t-elle vraiment terminé sa « mue judéophile » ?
Selon une enquête sur l’antisémitisme à l’école, auprès d’un échantillon de 2000 collégiens et lycéens (dont 20 % scolarisés en établissements catholiques) , respectivement 10 % et 13 % des jeunes interrogés se déclarant catholiques ou protestants, « réagiraient mal en cas d’union d’un membre de sa fratrie avec un(e) juif/ve » ; 14% et 19% « n’accepteraient pas de nouer certaines relations avec des élèves de religion juive » ; 30 % et 45 % « n’accepteraient pas de nouer certaines relations avec des élèves de religion juive affichant leur soutien à Israël ».
On reste sans voix : plus d’un jeune chrétien sur dix n’éprouverait aucune empathie pour un camarade parce que « juif » ; près de quatre sur dix, sous prétexte d’argutie antisioniste.
Au-delà d’un échec apparent de transmission des valeurs chrétiennes de l’enseignement catholique, qui devrait a minima interpeler ses responsables, on s’interroge sur l’échec tout court de la « chaîne pastorale » pour ce constat ahurissant : aurait-il pu échapper à un jeune chrétien sur dix, au moins, qu’il est censé adhérer à une religion qui a mis sa Foi en un fils de Dieu incarné dans un juif (Yeshua-Jésus), authentiquement né d’une mère juive (Mar-Yam, Marie) ?
A huit ans de l’anniversaire d’un évènement mondial inouï par sa portée dans l’histoire humaine, la commémoration du 2000ème anniversaire de la mise à mort du Christ et, pour nous chrétiens, de sa Résurrection, on est pris de vertiges.
Deux mille ans plus tard, il y aurait encore un collégien ou lycéen chrétien sur dix qui « n’accepterait pas de nouer certaines relations avec des élèves de religion juive » dont, qui sait, le prénom pourrait être Josué (dérivatif de …Yeshua) ! Le peuple chrétien, qui a pu connaître des ratés graves, entre mises en cause de la responsabilité du peuple Juif et pogroms commis « au nom » de Jésus-Christ, connaitrait-il encore de nouveaux ratés ? Est-ce possible encore au XXIe ? Il est vrai que, selon l’échelle du temps, du psaume 90 (89) ou de l’apôtre Pierre ( 2 Pierre 3.8-9), il ne s’est après tout écoulé que « deux jours » depuis que le Fils de Dieu incarné s’est livré à la mort pour nous sauver. En « deux jours », on ne peut pas espérer changer les mentalités humaines.
Mais tout de même. Car cet échec ne serait-il pas celui, aussi, de l’Eglise qui, pour avoir sincèrement emprunté la voie d’une « mue judéophile » à compter du Concile Vatican 2, se serait arrêtée en cours de route ? Ou n’aurait pas été jusqu’au terme de sa mue, pour, sincèrement, naturellement, adhérer -et faire adhérer- les goys que nous sommes à la judéité de notre foi chrétienne ? Violence d’un fait biologique qui a toujours été perçue comme « folie pour les nations païennes » (1 C. 1, 23), comme le révélerait ce sondage.
Des signes objectifs que cette lente « mue judéophile » de l’Eglise se serait ralentie sont-ils discernables ? J’en veux pour présomption quelques indices, parmi d’autres, et quel que soit l’affichage des postures « officielles » proclamées, évidemment en sens inverse, au nom d’un dialogue judéo-chrétien institutionnel, la main sur le cœur.
Comme chercheur laïc mais chrétien, sur un livre aussi fondamental que méconnu des chrétiens de base, voire oublié de l’élite chrétienne, le Deuxième Livre des Maccabées, j’ai publié un essai sur « La résistance juive, d’hier à aujourd’hui » (Ed. Via Romana, 2024). J’y dresse le constat, à travers l’exemple des enseignements de ce livre inspiré, que l’Eglise, par trop occidentalisée, a pu oublier certaines leçons maccabéennes, qui sont aussi des leçons judaïques.
Par exemple, le fait que ce soit ce Livre saint, du canon catholique, qui fonde la fête de Hanoucca, incontournable pour tout Juif. Fête si importante qu’on s’étonne que l’Eglise n’en a tiré aucune conséquence de sa prescription. Alors qu’il est prouvé que Jésus l’a observée, dans sa vie publique (Jean, 10 :22). En cette année du 400ème anniversaire du Concile de Nicée, que l’on fêtera à partir du 20 mai prochain, il faut se remémorer, comme un fait, mais un fait aux conséquences sur lesquelles on peut réfléchir, que l’Eglise d’Occident se désarrima du calendrier juif pour fêter Pâques (Pessah). Depuis lors, le calendrier chrétien (julien puis grégorien) vit sa propre vie par rapport au calendrier hébraïque. Mais, parfois, ils se recoupent, providentiellement. Combien ai-je été interloqué d’observer que notre saint Père, pourtant un des papes contemporains qui cite le plus souvent les Livres des Maccabées dans ses homélies, a omis le geste judéophile d’un de ses prédécesseur (saint Jean-Paul II), en 1996, en allumant avec le grand rabbin de Rome la première bougie de la fête de Hanoucca (25 Kislev) alors qu’elle tombait, en 2024 (comme en 1996) presque un certain 25 décembre ! Comment ne pas regretter aussi que le nouvel Ordo ait fait disparaitre de notre sanctoral chaque 1er août la fête des saints Maccabées, héros de la résistance juive et symboles de la résilience d’Israël face à toutes les tentatives païennes (et diaboliques) de la faire disparaitre de la surface de la Terre. Quel panache œcuménique aurait le pape François, ami de Bartholomée Ier de Constantinople (lequel fête encore les saints Maccabées chaque 1er aout), à restaurer cette fête autrefois commune aux Juifs comme aux chrétiens des deux églises.
Pour revenir à ce sondage, on devine bien ce qui coince encore pour que la « mue judéophile » de l’Eglise aille jusqu’à son terme : c’est bien d’Israël qu’il est question, comme pour près de trois jeunes chrétiens sur dix. Que cela plaise ou non de le dire, l’attaque antijuive du Hamas du 7 octobre 2023, et sa riposte par l’Etat d’Israël, reviennent empoisonner ce dialogue judéo-chrétien, tant théologique que politique, tant à la secrétairerie d’Etat du Vatican que dans les cours de récré (y compris des « écoles catho »).
La « mue judéophile » de l’Eglise et des chrétiens est loin d’être accomplie. Attention que comme toute mue, elle ne s’arrête au stade de chrysalide, connue pour sa carapace.